5 questions à Vincent Leclercq, Directeur de Coalition PLUS
- Albin Serviant
- 28 juin
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 2 sept.
Union internationale d’ONG communautaires de lutte contre le sida et les hépatites virales fondée en 2008, Coalition PLUS regroupe une centaine d’organisations intervenant dans 51 pays.
Depuis sa création en 2008, Coalition PLUS s’est imposée comme un acteur international incontournable dans la lutte contre le VIH/sida et les hépatites virales. En quoi votre modèle communautaire international se distingue-t-il des approches classiques, et quel rôle joue-t-il dans les succès que vous avez obtenus ?
Incontournables, peut-être pas, mais nous tentons d’être un maillon solide dans la chaîne de réponse à l’épidémie de VIH. Ce qui fait notre force, c’est une gouvernance communautaire, horizontale et décentralisée, un vrai contraste avec beaucoup d’ONG, souvent très centralisées, où les décisions se prennent dans les grandes capitales du Nord. Nous faisons le pari que cette proximité avec le terrain et cette vie démocratique permettent de mettre en place des réponses au VIH plus adaptées, mieux appropriées par les communautés, et donc plus efficaces et durables. Mais nous pouvons aller plus loin et c’est pourquoi à Coalition PLUS nous avons ouvert un chantier sur la décolonisation de l’aide, afin de tendre vers des modèles de solidarité internationale qui soient plus justes et équitables et respectueuses de la place et de la parole des personnes bénéficiaires comme émettrices de l’aide, qui contrairement aux idées reçues, sont souvent elles-mêmes issues des communautés et des pays d’intervention avant tout.
Le contexte politique mondial se durcit, notamment aux États-Unis où certaines mesures historiques sont remises en question. Comment Coalition PLUS adapte-t-elle ses actions face à cette montée des conservatismes et aux reculs des droits, en particulier pour les populations les plus vulnérables ?
On doit d’abord gérer l’urgence. Les États‑Unis, qui finançaient près de 80 % de l’effort mondial contre le VIH, se désengagent massivement ; des millions de vies sont en jeu. À cause de ces coupures brutales, une recrudescence mondiale de l’épidémie se profile, et si rien n’est fait, dans quelques années on pourrait revoir des scènes dignes des années 80 ou 90. Tous les acteur·rice·s de la lutte contre le VIH concentrent donc leurs efforts sur l’essentiel : garantir l’accès aux antirétroviraux, au dépistage et à la PrEP. Concrètement, pour Coalition PLUS, ça signifie réaffecter des lignes budgétaires initialement prévues pour d’autres projets vers ces interventions prioritaires, ainsi que mobiliser les ressources humaines nécessaires pour les mener à bien.
En parallèle, nous menons des combats de long terme. Sur la question du conservatisme, il n’existe pas de solution universelle : c’est à chaque contexte de définir, pays par pays, région par région, quartier par quartier, ce qui permettra aux Minorités de Sexe et de Genre d’être durablement acceptées, reconnues et respectées. Les actions imposées de l’étranger ou les appels au boycott renforcent au contraire la vulnérabilité des activistes, souvent exposé·e·s aux représailles et aux discours de haine. Notre rôle, c’est de leur donner les moyens d’agir, sur le terrain, de manière pérenne.
Vous portez régulièrement la voix des communautés dans des enceintes comme l’ONU, le G7 ou auprès du Fonds mondial. Quels sont aujourd’hui vos principaux combats sur la scène internationale, et estimez-vous que les engagements des États en matière de financement et de santé mondiale sont à la hauteur des enjeux ?
Depuis le début des années 2000, les dépenses de santé (publiques et privées) représentent un peu moins de 10% du PIB mondial. Cependant très peu de pays ont mis en place une couverture santé universelle (ce qu’on appelle la sécurité sociale en France) et beaucoup de systèmes de santé de pays du sud dépendent de la solidarité internationale. Pour des systèmes de santé vraiment autonomes — car aucun pays, soyons réalistes, ne souhaite dépendre de l’aide internationale —, il faut s’attaquer aux freins structurels : des médicaments hors de prix, le pillage inéquitable des ressources (y compris humaines : médecins et personnel de santé attiré·e·s par les pays riches), le poids écrasant de la dette (d’où notre défense active du mécanisme Debt2Health pour transformer les remboursements de dettes en investissement pour la santé), sans oublier la corruption et l’évasion fiscale, fléaux universels qui entravent le développement économique nécessaire au financement durable de la santé.
Sur le financement des systèmes de santé toujours, nous défendons la taxation des les transactions financières, inspirée de la fameuse Taxe Tobin, ou encore la taxe sur les billets d’avion, qui sont de véritables instruments au services des Etats pour financer, pour les plus riches, la solidarité internationale ou pour les plus pauvres leur propre système de santé. Car ces taxes font avant tout peser les investissements dans les systèmes de santé sur les plus riches : les personnes qui ont les moyens de prendre l’avion ou d’effectuer des transactions financières internationales, et le niveau de taxation est infime. La contribution de la France à la santé mondiale était principalement financée par ces taxes, ainsi sanctuarisées et ne dépendant pas du budget de l’Etat. Mais à notre grande surprise d’une part nous nous sommes rendus compte que l’Etat ne collectait que partiellement cette taxe et d’autre part le gouvernement a décidé de détourner ces taxes pour financer le budget de l’Etat, faisant craindre le pire pour le financement de la santé mondiale au moment même où les Etats-Unis se désengagent. Et qu’on ne s’y méprenne pas : une reprise massive de l’épidémie de VIH au sud se traduira par une hausse des infections dans le monde entier, y compris aux Etats-Unis et en France. Le Covid-19 nous a montré à quel point nos systèmes de santé sont interdépendants.
La PrEP, les traitements injectables longue durée et d’autres innovations marquent une révolution dans la prévention et le traitement du VIH. Comment Coalition PLUS agit-elle pour garantir l’accès équitable à ces outils, notamment dans les pays du Sud ou auprès des communautés marginalisées ?
Pour l’instant, le passage à l’échelle de la PrEP fait un flop mondial : trop peu de personnes démarrent ce traitement pour qu’on en voie l’impact sur l’épidémie au global, même si pour les personnes qui la prennent, cela a souvent changé leur vie. Il nous faut un vrai plan d’accélération, y compris dans les pays du Nord, pourtant souvent présentés comme des modèles d’accès à la PrEP. Celle‑ci doit être gratuite et universelle ; pour ça, il faut que son prix continue de baisser. Les PrEP à diffusion prolongée (long‑acting) ont un vrai potentiel, surtout là où les transmissions restent élevées chez les femmes et les jeunes filles, chez qui la PrEP orale à prendre tous les jours n’est pas bien adaptée.
Mais aujourd’hui, dans les pays du Sud, le financement de la PrEP repose largement sur l’aide internationale, en plein effondrement avec le retrait des financements américains : la montée en puissance de la PrEP y est clairement menacée à court et moyen termes. Et c’est sans compter la grande difficulté à convaincre les industriels de baisser le prix de ces nouveaux traitements, encore trop chers.
À notre échelle, on joue un rôle dans la « génération de demande » pour la PrEP : informer les communautés de son existence et les encourager à recourir à la PrEP, co-construire des programmes d’accès, plaider pour lever les barrières pays par pays (prix, reste à charge…), et orienter les personnes testées séronégatives vers la PrEP. La recherche communautaire et plus généralement la science ont un rôle déterminant pour favoriser l’accès à la PrEP en améliorant les connaissances sur les populations qui y ont recours ou pas. Dans bien des territoires où nous intervenons, ce sont souvent nos médecins qui sont les seuls à la proposer.
Dans un contexte post-COVID marqué par la baisse des financements et une compétition accrue entre ONG, quels leviers explorez-vous pour assurer la pérennité de vos actions ? Faut-il repenser les modèles économiques de la lutte contre le sida ?
Les ONG n’étaient pas en compétition ; c’est la généralisation du système des appels à projets pour les financements qui les y a poussées. Pourtant, je suis chaque jour agréablement surpris par notre capacité à nous entraider et à collaborer.
Le modèle économique des ONG est en pleine mutation : les dons des particuliers diminuent, on a épuisé le vivier des nouveaux donateur·rice·s réguliers·ères, les subventions publiques stagnent ou baissent alors que les besoins et les coûts augmentent, et la philanthropie privée n’est pas en mesure — ni très désireuse — de compenser à court terme. Beaucoup d’ONG doivent donc réduire la voilure, envisager des rapprochements et inventer de nouveaux modèles, notamment en développant des activités génératrices de revenus.
Au‑delà de l’argent, il faut souligner que, partout dans le monde, les libertés associatives sont attaquées : associations interdites ou fermées, injonctions à cesser certaines actions auprès de populations vulnérables. Plusieurs de nos partenaires, en Europe et en Afrique, ont reçu l’ordre d’arrêter leurs activités auprès des personnes LGBT ou des usager·ère·s de drogues. On nous impose des reportings de “criblage des bénéficiaires”, nous obligeant à révéler l’identité des personnes soutenues — ce que nous refusons fermement ! Mais cette épée de Damoclès plane toujours au‑dessus de nos têtes : du jour au lendemain, notre droit d’agir pourrait être suspendu. La pérennité de notre action dépend donc autant de la ressource financière que de la défense des libertés associatives et de l’État de droit.
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